Voici quelques remarques par un blogger qui a analysé la situation, et que j’ai trouvé pertinentes.
1) Les Américains sont plus à l’aise pour faire face aux imprévus que les Japonais. Les « changements permanents » pour s’adapter aux contingences sont une dimension normale pour les uns et stressante pour les autres.
2) Le malentendu est majeur dès le départ car le premier incident grave intervient au quatrième jour de tournage à peine, alors que celui-ci aura duré au final vingt-sept jours.
3) Le régisseur japonais annonce son départ en s’excusant d’abord, « il a fait ça très poliment ». Le conflit est grave mais la forme importe : le contenu négatif (démission) est exprimé dans un contenant positif (politesse, excuses).
4) La raison de la démission du régisseur paraît futile, et donc incompréhensible, aux yeux des Américains : un dépassement de dix minutes sur l’horaire prévu, dans un lieu aussi anodin qu’un restaurant (et non, par exemple sur un porte-avion ou dans une centrale nucléaire). Ils ne voient pas où est le problème et improvisent une solution (payer une heure supplémentaire).
5) La raison peut paraître anodine mais là n’est pas le problème : le dépassement de l’horaire et l’improvisation d’une solution sans concertation sont des symptômes de la qualité de la relation qui, aux yeux des Japonais, est dégradée par ce comportement.
6) On peut imaginer que le régisseur se demande comment continuer à travailler avec les Américains si, pour un scène aussi anodine, ils se mettent à improviser des solutions sans tenir compte de leurs partenaires locaux. Que peut-on craindre de pire pour la suite? C’est un facteur majeur de stress.
7) L’honneur du régisseur japonais est en cause. Il s’était certainement engagé auprès du propriétaire du restaurant. Il avait mobilisé ses équipes japonaises pour mettre en place un agenda conforme à l’accord passé avec lui. Il se sent responsable à la fois de lui-même en tant que régisseur et des autres (le propriétaire, ses équipes). C’est ce que le philosophe Takeshi Umehara appelle le mutualisme, une responsabilité réciproque interpersonnelle qui structure les relations dans la société japonaise.
8) Par solidarité avec le régisseur, ses équipes démissionnent. Rester en poste signifierait prendre parti pour le point de vue américain, et ainsi déshonorer une deuxième fois le régisseur. Or, les subordonnés sont aussi responsables d’eux-mêmes et de leur supérieur. Ils reconnaissent en outre le bien-fondé de sa démarche et ne peuvent que démissionner à leur tour.
9) La résolution passe d’abord par des excuses. Les Américains ont le réflexe (peut-être « suggéré » par le producteur exécutif Kyoshi Inoue qui agirait alors en médiateur cuturel) de ne pas chercher à justifier leur point de vue et à convaincre les Japonais de sa pertinence, mais de redonner de la face à leurs partenaires en utilisant le levier des émotions par des excuses, quitte à les supplier, attitude qui permet de retrouver une humilité culturelle indispensable à la résolution du conflit, et en général aux relations interculturelles.
10) Enfin, on se livre à un rituel japonais pour recréer le mutualisme perdu en faisant cercle et en frappant dans les mains. L’acceptation du rituel par les Américains dépasse le cadre du symbole en ce qu’elle envoie un message aux Japonais indiquant l’effort de chacun pour repartir sur des bases nouvelles pour la suite du tournage.